De passage à Paris, les deux membres féminines du quintet écossais, Tracyanne Campbell et Carey Lander, nous racontent leur nouvel album, Desire Lines, enregistré à Portland.
“Let’s Get Out of This Country… “ chantait en 2006 Tracyanne sur l’album du même nom. Il aura finalement fallu attendre sept ans pour que le quintet le plus élégant d’Écosse assouvisse son « désir » d’exil : franchir le pas et partir enregistrer sur les terres d’Hemingway. Enregistré à Portland sous la houlette du producteur du cru Tucker Martine (R.E.M., Spoon, My Morning Jacket), Desire Lines marque un tournant dans la carrière du quintet de Glasgow. Sa pop romantique et esthétisante s’est délestée des grandes orchestrations symphoniques au profit de claviers lumineux et d’évasion country pop. Sous cette nouvelle enveloppe charnelle aux accents d’americana 80’s, les chansons de Tracyanne Campbell distillent leur puissant philtre d’amour sur de superbes ballades crève-cÅ“ur (Break it To You Gently, Fifth in Line to the throne….).
Il y a quelque chose d’excitant à l’idée de savoir que les timides Tracyanne Campbell et Carey Lander sont de passage à Paris. Pourtant quelques années en arrière, nous avions rencontré le groupe à l’occasion d’un concert au Point Éphémère, pour son troisième album. Et nous avions pu juger sur pièce du caractère réputé peu loquace de Tracyanne, en lui extirpant au forceps quelques maigres réponses. Une expérience plutôt cocasse avec le recul… Cette fois, l’humeur est nettement plus décontractée, et les deux Écossaises, look robes sixties et coupes impeccables, nous esquissent même quelques sourires irrésistibles qui ont le pouvoir de tout excuser. Et c’est certainement ce souvenir que l’on gardera de cette rencontre.
Pinkushion : Après votre période suédoise sur les deux précédents albums, peut-on considérer que vous entamez avec Desire Lines votre période Americana ?
Tracyanne Campbell : Oui, peut-être ! (rires).
Carey Lander : On dira plutôt notre période « burger food ».
Tracyanne Campbell : Nous avons déjà eu d’autres périodes « gastronomiques », lors de nos précédents enregistrements, notamment celle saumon. (rires) Plus sérieusement, rien n’a été prémédité pour Desire Lines. Nous n’avions pas de plan particulier, nous ne savions pas quoi faire après notre dernier album.
Carey Lander : (s’adressant à Tracyanne) Tu as commencé à travailler assez tôt sur les chansons, bien en amont, des mois avant de partir aux États-Unis. C’est important de le dire.
Tracyanne Campbell : Tout à fait. On ne débarque pas comme ça aux États-Unis, ni en Suède, pour y écrire toutes les chansons. Avant d’aller aux États-Unis, les compositions étaient déjà prêtes. On ne peut pas envisager d’aller en studio pour enregistrer un bon album sans avoir déjà de la matière solide.On attendait de voir, selon l’orientation générale des chansons accumulées, où nous pourrions enregistrer l’album. Ce fut une bonne expérience que d’enregistrer aux États-Unis. Je pense que nous avons fait un bon album, qui nous plait en tout cas. On a appris quelque chose de nouveau.
Carey Lander : Enregistrer à Portland fut très agréable. On a passé beaucoup de temps en studio. Ce fut enrichissant de travailler avec Tucker Martine, quelqu’un avec une attitude différente.
Portland a la réputation d’être une des villes les plus cool des États-Unis.
Tracyanne Campbell : C’est une ville cool, mais dans un sens plus subtil. Ce n’est pas une ville comme New York par exemple, les gens ne sont pas prétentieux. Ils ont quelque chose d’authentique.
Carey Lander : Les choses semblent plus relax dans cette ville, les gens sont plus ouverts d’esprit. Mais ce sont juste des gens normaux.
Tracyanne Campbell : Il y a comme une vibration qui se dégage, une fraîcheur. On sent une forte créativité autour de nous.
La différence notable sur cet album, ce sont les arrangements. Let’s Get Out Of The Country (2007) et My Maudlin Career (2009) étaient très orchestrés, sous la houlette du producteur suédois Jari Haapalainen (The Concretes). Produit par Tucker Martine, Desire Lines s’en détache délibérément.
Tracyanne Campbell : Après une longue période de réflexion, on a commencé à évoquer l’idée d’enregistrer aux États-Unis. En fait, on était assez ouverts pour travailler avec n’importe quel producteur américain. L’important était avant tout de faire un disque plus contrôlé. Avec une production moins « mur du son ».
Carey Lander : Les deux précédents albums ont été enregistrés très live. Tout a été fait très rapidement, avec beaucoup de réverb. Ce fut une super expérience, mais on voulait prendre plus de temps pour faire les choses petit à petit. On voulait vraiment contrôler davantage, être plus prudents.
Tracyanne Campbell : C’était avant tout une volonté personnelle. On voulait repousser nos limites, avoir une approche plus musicale, plus pensée.
Carey Lander : Enregistrer un album peut parfois donner le sentiment de faire des choses trop précipitées. Vous répétez pendant des mois, puis on vous jette en studio pour quelques jours. Chaque fois, on se dit qu’on aurait pu faire mieux sur telle ou telle partie. Une fois nos parties enregistrées, on n’a parfois pas la chance de pouvoir corriger nos erreurs, faute de temps. Cette fois, on voulait être sûrs d’avoir le temps nécessaire.
Tracyanne Campbell : Nous avions définitivement plus de temps. Même si, en définitive, on regarde toujours notre montre. Nous n’avons pas le luxe de nous permettre de gâcher des heures et des heures en studio. Nous faisions donc attention à ne pas déborder, tout en ayant une marge de manÅ“uvre un peu plus grande que par le passé.
Beaucoup de groupes investissent pour construire leur propre studio. Cela ne vous intéresse pas ?
Carey Lander : Certains groupes ont gagné suffisamment d’argent pour investir dans leur propre studio, et c’est une bonne chose à faire. Mais ce n’est pas notre cas. Nous n’avons jamais gagné assez pour investir.
Tracyanne Campbell : En fait, nous aimons aussi collaborer avec quelqu’un, nous coller à de nouveaux environnements, d’étranges environnements, cela stimule notre créativité. C’est comme un challenge, nous travaillons mieux ainsi. Faire un disque dans notre propre studio ne m’intéresse pas vraiment. Trop de confort, ce n’est pas vraiment recommandé. Je pense que ce serait plus sympa d’avoir une salle de répétition.
Vous n’avez pas de local de répétition ?
Tracyanne Campbell : Nous avions notre propre local, il y a quelques années. Nous utilisons aujourd’hui la salle de quelqu’un d’autre, cela revient moins cher. Beaucoup de groupes font cela.
En écoutant le nouvel album, il m’est revenu en tête une reprise que vous aviez enregistrée comme face B de My Maudlin Career, dans le même esprit. « Tougher than the rest » de Bruce Springsteen. Peut-être que vous aviez déjà inconsciemment en tête cette direction à l’époque ?
Tracyanne Campbell : C’est un point de vue intéressant. Il y a en effet dans cette reprise ce côté eighties americana, country pop…
Je me rappelle aussi que vous m’aviez raconté, six ans en arrière, à l’époque de Let’s Get Out of the Country, que vous écoutiez Fleetwood Mac dans le bus de tournée.
Tracyanne Campbell : Oui, Fleetwood Mac a toujours fait partie de notre culture musicale générale. Beaucoup d’entre nous, à l’exception peut-être de Carey, écoutaient Fleetwood Mac. Personne n’a réalisé à quel point cela pouvait être une influence. C’est un groupe devenu classique, beaucoup d’autres ont tenté de copier ce son si propre.
Vous assumez aussi le côté l’influence des années 80 ?
Tracyanne Campbell : Tout à fait. A vrai dire, on adhère plus à la pop américaine de cette époque, Fleetwood Mac, Bruce Springsteen, plutôt qu’à la scène de Manchester des années 80.
On note aussi sur les crédits de l’album les contributions de la chanteuse américaine Neko Case, ainsi que de Jim James de My Morning Jacket. D’ailleurs, on a du mal à reconnaître le chant de ce dernier sur le disque. Sur quel titre chante-t-il ?
Tracyanne Campbell : Jim James a participé aux chÅ“urs sur « Troublemaker », le troisième morceau de l’album. Mais son chant est très haut, on a tendance à le confondre avec une voix féminine (sourire). Neko Case par contre a participé sur plusieurs morceaux. Elle chante sur “Do It Again”, “Break It To You Gently” , “Cri Du CÅ“ur”, “Fifth In Line To The Throne » et “Every Weekday”.
“Break It To You Gently” est une superbe pop song accrocheuse, l’une des meilleures de l’album. Pourquoi l’avoir reléguée à l’avant dernière piste ? Généralement sur les disques précédents, vous poussiez ce genre de morceaux en première ligne.
Carey Lander: On a pensé à l’inclure peut-être comme chanson d’ouverture.
Tracyanne Campbell : Nous ne voulions pas faire des choses évidentes pour ce disque. Et précisément, la chose la plus évidente aurait été de mettre en avant « Break It To You Gently ». C’est pour cela que nous avons préféré ouvrir l’album avec un morceau instrumental. C’est une surprise en quelque sorte. On a beaucoup réfléchi à l’ordre des chansons… Certains diront que ça n’a pas de sens de prêter autant d’intérêt au tracklisting, puisque de toute façon les gens n’écoutent plus les albums du début jusqu’à la fin. Ils écoutent les morceaux qui leur plaisent et puis c’est tout. Mais ce n’est pas le cas pour nous, nous écoutons toujours les albums « à l’ancienne ».
Vous n’êtes pas seuls. Moi aussi.
Tracyanne Campbell : Tout à fait. C’est très important pour nous que d’ordonner les titres, cela nous permet de réfléchir à l’album comme un tout.
Desire Lines est d’ailleurs un disque moins évident que les précédents. Il m’a fallu personnellement cinq ou six écoutes pour que le charme opère.
Tracyanne Campbell : Les gens pensent en général qu’il faut placer les meilleures chansons ou les plus instantanés en tête d’un disque. Mais on voulait aller à l’encontre de ces a-priori, être plus audacieux.
Un morceau va particulièrement attirer les oreilles de votre public français, c’est « Cri du cÅ“ur ».. D’où vient ce titre ?
Tracyanne Campbell : Hum… J’aurais dû me préparer un peu plus à cette question (sourire). Je crois que j’ai entendu l’expression dans un film, mais je ne me rappelle plus lequel. J’aimais comment les mots sonnaient, il y a un côté un peu dramatique. Et puis c’est aussi le titre d’une chanson d’Edith Piaf. On essaie de percer en France (sourire). On a besoin d’un titre en français. Sur l’album précédent, on a presque réussi sur une chanson, « French Navy » (rires).
A ce jeu-là, Neil Hannon de Divine Comedy est le champion des titres en français. Et ça lui a plutôt bien réussi par chez nous.
Carey Lander: Donc ça fonctionne. On va devenir célèbres alors (rires).
Tracyanne, sur le plan des paroles, y a-t-il des thèmes nouveaux que vous avez voulu explorer sur ce nouvel album ? Aviez-vous un état d’esprit différent par rapport à My Maudlin Career ?
Tracyanne Campbell : L’humeur était certainement différente sur ce disque. Mais les chansons ont été écrites au cours d’une longue période. Il y a beaucoup de choses… Je n’aime pas vraiment être la personne qui suggère de quoi parle le disque, dire aux gens « voici la couleur, voici ce que vous devriez ressentir ou penser ». Les gens doivent décider par eux-mêmes ce qu’ils pensent. Il est certain que le processus d’écriture fut plus difficile que d’habitude. Ça a été dur pour moi de m’exprimer dans ces chansons. Car dans le passé, c’était un peu comme une lutte : comment faire, où aller, comment être… Je me posais beaucoup de questions sur la direction à prendre. Cette fois, je me suis davantage préparée en amont, mais je ne peux pas dire pour autant quelle humeur se dégage de l’album. Ce ne sont pas seulement douze chansons d’amour ou je ne sais quoi…
Avec le recul, comment considérez-vous votre discographie ?
Tracyanne Campbell : Notre premier album, Biggest Bluest Hi-Fi (2001), était presque un disque d’apprentissage. On apprenait à écrire des chansons. C’est aussi le cas d’Underachievers Please Try Harder (2003). Je trouve ces deux disques très naïfs. J’ai du mal à les considérer sérieusement. Ils sont plus léger que les deux suivants, Let’s Get Out Of The Country (2007) et My Maudlin Career (2009).
Carey Lander: Nous n’étions jamais allés auparavant dans un studio professionnel. On ne savait pas comment cela fonctionnait d’enregistrer un disque. Le troisième, Let’s Get Out Of The Country, fut une grosse étape vers l’avant. Nous voulions être meilleurs, trouver le moyen de le devenir.
Quatre années séparent d’Underachievers Please Try Harder de Let’s Get Out Of The Country . C’est à nouveau le cas pour ce nouvel album. Desire Lines a encore nécessité une longue période de gestation.
Tracyanne Campbell : Il est important de ne pas se répéter, de ne pas refaire toujours la même chose. Je n’aime pas trop les groupes qui sortent constamment des disques. Nous ne sommes pas Ryan Adams avec quatre millions de chansons dans les tiroirs, capable d’enregistrer un album chaque année. Il y a beaucoup de facteurs à prendre en compte lorsqu’on est dans un groupe. C’est important que les cinq autres membres du groupe évoluent dans le même sens, soient sur la même longueur d’onde. Et cela demande beaucoup de temps pour que tout le monde s’épanouisse et aille dans la même direction.
En regardant votre discographie, vous semblez changer de direction tous les deux albums. Faut-il donc s’attendre à un prochain disque americana ?
Tracyanne Campbell : Peut-être, oui. Ou quelque chose qui pourrait vous surprendre.
Carey Lander: Peut-être que nous viendrons enregistrer en France…
Enfin, vos cinq albums favoris ?
Caitlan Rose – The Stand in
Cry Baby – S/T (Bristol band) Single : « When the lights go out »
Iris Dement – Sing The Delta
Fleetwood Mac – Rumours
Paul Simon – Graceland
Camera Obscura, Desire Lines (4AD/Beggars)