Annoncé comme disque posthume, la bande à Robert Pollard propose ici un tour d’horizon du savoir-faire de cette fabuleuse machine à fructifier des mélodies célestes insensibles à l’usure du temps. Le dernier chant de sirène.
Cher Bob,
Tu permets qu’on se tutoie j’espère, car malgré la grande estime que je te porte, je ne peux me résigner à employer le « M. Pollard » de rigueur, tes chansons me sont tellement familières que le vouvoiement ne reflèterait pas le fond de mes pensées.
Alors oui, tu dois t’en douter, la chronique de cet album posthume ne sera en aucun cas objective, car je suis un fan invétéré de ton groupe. Peut-être pas le fan ultime (je ne possède pas tous tes disques solo voire ceux de tes autres projets – avoue quand même que tu en fais un peu trop parfois) mais je reste un fidèle de ta carlingue la plus rutilante : Guided By Voices.
Ce plaidoyer (ou déclaration d’amour, interprète le comme tu le veux) s’est imposé de lui-même suite à l’annonce de ce maudit disque posthume, celui qui sonne le glas de vingt ans de pure dévotion au service de la cause rock.
Après une carrière d’une prolificité incroyable, il va donc être temps de remettre les compteurs à zéro et estimer l’ampleur des dégâts, déjà jugés inestimables. L’année dernière, le coffret Hardcore UFO’s ainsi que le Best Of avaient déjà déblayé le terrain… mais comme nous le savons très bien dans les sphères étranges du rock, les groupes sont malheureusement plus adulés six pieds sous terre que de leur vivant. Et vu le trône doré que tu laisses derrière toi, la légende n’a plus qu’à s’installer confortablement et durablement.
Ta générosité légendaire, ta ponctualité (pratiquement un album par an depuis tes débuts, c’est le cas de le dire !) et surtout cette intégrité impertinente qui manque cruellement de nos jours, ont fait de ton groupe un ovni musical, la preuve que l’on peut perdurer contre vents et marées et toujours avoir la flamme.
Dès ses débuts en 1984, ton groupe a longtemps essuyé les plâtres et galères en tout genre, mais tu n’as jamais cessé de confectionner des mélodies empruntées à tes héros 60’s, bien souvent à l’égard d’une indifférence insoutenable durant ta première décade. Ce ne sera qu’en 1994 qu’un début d’estime arrivera avec Bee Thousand, suivit par une bonne poignée d’albums qui figurent désormais comme des classiques. Peut-être que c’est grâce à ses embûches que tu as toujours remarquablement maintenu le niveau de ton songwriting, éternellement innocent et pure, un peu comme Daniel Johnston, un autre adepte de la cassette faite « maison ». Beaucoup de musiciens doivent envier ton sommeil, certainement l’un des plus lourds et profonds du rock, car le mot « concession artistique » n’existe pas dans ton vocabulaire (misérable Pascal Nègre).
Bien sûr, celui qui attend le nouvel album de Guided By Voices comme un potentiel album de l’année a tout faux. Aucun de tes disques n’est parfait de bout en bout, car tu as mieux à faire : tu concours à la meilleur pop song de tous les temps, et ça c’est une autre affaire.
Sincèrement Bob, avoue, tu as un peu mentis lorsque tu disais que tu arrêterais ton groupe lorsque tu seras totalement satisfait du résultat, car à mon avis un disque de GBV ne le sera jamais. Mais bon, encore une fois tu n’en fais qu’à ta tête et c’est tout à ton honneur, car Half Smiles of The Decomposed contient encore son lot de trésors (« Never Hate to die », « Girls of Wild strawberries », « Asphysiated Circle », « Human Prairie Flying Field »). Peut-être est-ce dû au contexte particulier, mais ta voix n’a jamais été aussi poignante qu’à ce jour (bouleversant « Closets of Henry »). Alors est-ce que c’est vraiment la fin ? Je ne crois pas non, d’autant plus que ton dernier disque solo, Fiction Man, est peut-être bien meilleur que cet ultime coup d’éclat.
Alors oui, dans dix ans, tu reformeras certainement ton groupe, et à ce moment là le revival que connaît actuellement les Pixies semblera dérisoire tellement la pléthore de musiciens talentueux que tu auras engendré louera tes louanges et les stades afficheront complet sur leurs néons dorés. On peut rêver, mais derrière toute légende existe une part de vérité, et celle de ton groupe est en marche. Et encore une fois merci pour tout.
Amitiés
Ton fidèle Paulo (on se refait pas)
-Notre précédente chronique d'[Earthquake Glue->
http://www.pinkushion.com/chroniques.php3?id_article=188]
-Le site officiel de Guided By Voices
-La page du groupe sur le site de [Matador->
http://www.matadorrecords.com/guided_by_voices/biography.html
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