Née d’une mue de pleine-lune en pleine forêt de Wisconcin, la folk racée du duo Peter Wolf Crier élabore une spirale mélancolique ensorcelante.
Justin Vernon n’était finalement pas seul cet hiver 2007, lorsqu’il parti enregistrer, isolé dans les bois, ses folksong déchirantes Pour Emma. Chaque soir, alors qu’il couchait sur bande ses tourments et que sa voix s’échappait du cocon boisé par une fenêtre, la forêt se réveillait et chuintait, hioquait, hôlait, hululait à son tour au son de ses chansons exorcisées. Dehors, comme un cri primal dans la nuit, les hurlements du Peter Wolf Crier n’étaient pas des moindres hôtes intenses à communier avec cette détresse.
Peter Pisano et Brian Moen sont les princes Romulus et Remus de cette histoire. Le premier album de ce duo sort sur le label américain Jagjaguwar qui a mis en selle l’ermite Bon Iver. Et tout comme le Justin Vernon période pré-Bon Iver, leurs anciennes formations respectives sont issues de la petite scène d’Eau Claire, comté de 60 000 âmes du centre ouest du Wisconsin. Mais il ne faut pas voir derrière ce parrainage un quelconque traitement de faveur envers Peter Wolf Crier. Le label de Black Mountain, Dinosaur Jr et Okkervil River n’est pas du genre à signer n’importe qui, et la qualité de ce premier album se détache allègrement de ses récentes signatures Gayngz, Small Black et Wolf People…
A l’origine de cette identité mi-homme/mi-loup, Peter Pisano, instituteur diurne/songwriter nocturne installé à Minneapolis depuis peu. Insatisfait, le loup solitaire remet ses démos à une connaissance, Brian Moen, homme de rythme qui s’avère également fin arrangeur. Manifestement, avec une économie de moyens flagrante, la magie opère dès les premiers morceaux. De cette association s’établit un équilibre ténu entre les mélodies folk décharnées de Pisani et l’habillage élaboré de Moen. Si le grain d’Inter-Be demeure lo-fi, les limites techniques sont détournées et deviennent une force, lui conférant une petite patine intemporelle, notamment grâce à un traitement blues/folk limite onirique et des harmonies vocales particulièrement réussies.
Inter-Be a la chaleur des premiers albums rénovateurs de Matt Ward, lorsque le guitariste remontait encore, sous l’inclination rock, le courant du Mississipi vers les années 40 et 50. En ce sens, le son midwest de “Crutch & Cane” semble sortir d’un vieux transistor, mais ce dépouillement passe également sous le filtre moderne d’un rock poisseux, alternatif. De cette collision des genres, Peter Wolf Crier en fait la plus belle des réconciliations. On prend cette locomotive en marche et on se laisse hypnotiser par le rythme des apparitions des poteaux téléphériques à travers le hublot : les arpèges tendus de “Hard as Nails” et “For Now” nous font cet effet, bordent l’auditeur dans un drap onirique intense, magnétique, et diablement contemporain.
On pense aussi forcément à leur ami bienfaiteur Bon Iver, lorsque le duo emprunte, comme sur “Down, down, Down, le registre de l’exutoire. Mis en confiance par quelques cordes de guitares étouffées, Pisano se laisse alors aller à des murmures intimes, entrouvre progressivement quelques déchirures, et en guise d’apothéose, l’âme meurtrie, se dédouble avec l’apparition d’une seconde voix fantomatique. Frisson garanti. Cette prédisposition aux choeurs exorcisés sauve d’ailleurs deux ou trois compositions pas encore à la hauteur de l’étoffe qu’on leur brode. Mais cela n’atténue en rien la réussite de ce premier album royal, qui réserve quelques purs moments d’épiphanie.
– Page officielle
– Site de Jagjaguwar
– A voir et en écoute « Hard as Nail » :
Peter Wolf Crier – « Hard as Nails » from Northern Outpost on Vimeo.