Décadent et manipulateur, le canadien Stephen McBean prône la luxure sur un troisième album de pop psychédélique, mystique et humide. Encore un sommet.


Parmi les grands mystères existentiels de l’univers encore insondables, une question particulière restait en suspend : comment distinguer Pink Mountaintops de Black Mountain ? Deux formations siamoises, progénitures du canadien — et grand shazam barbu devant l’éternel — Stephen McBean. Alors que leurs premiers albums respectifs, tous brillants, ne se démarquaient pas sensiblement les uns des autres (pochettes incluses), passée maintenant l’étape du troisième opus, il se fermente un puissant effet de crise identitaire. In The Futur l’an dernier fournissait quelques clés cruciales sur la vision musicale empruntée par Black Mountain : un effort de groupe colossal, une culminante poussée de fièvre acid-rock où se nouaient de complexes riffs charbonneux à des orgues messianiques nauséeux. L’esprit du mal, serions-nous tentés d’avancer, habitait ce disque génialement malsain.

Transhumant vers d’autres massifs moins escarpés, les plus dociles (en apparence) Pink Mountaintops seraient le versant, ou plutôt l’exutoire, personnel de McBean. Toujours avec l’appui de fidèles vassaux — dont l’indispensable vocaliste Amber Webber (effrontée bouleversante sur “While You Were Dreaming” et “Outside Love”), le pianiste Joshua Wells et Matthew Camirand à la basse sur un titre — le désinhibé Stephen Mc Bean y compose, chante et couche parfois sur papier ses fantasmes cochons. Plus « carré blanc » que « rose » d’ailleurs. Outside Love, disque encore supérieur à ses deux prédécesseurs, chose au demeurant déjà impressionnante, est certainement aussi celui aux textes les plus explicites : « dix chansons d’amour et haine, à lire comme une roman d’amour de Danielle Steele » nous prévient le sticker… Effectivement, dès “Axis : Thrones Of Love”, la montagne prône le double sens salace et l’amour désorienté :

« How Deep Is your love ?
Mine Was Cheap and made of Plastic
And full of Holes to Stick Fingers.”

Cadeau empoisonné comme une boîte de bonbons en forme de coeur, Outside Love est un recueil de ballades acides, envoûtantes, rongées par l’esprit narcotique du Velvet Underground (particulièrement le très factorien “The Gayest Of Sunbeams”). Dix déclarations d' »O » où peuvent survenir quelques rencontres blasphématoires : des choeurs gospels paroxystiques sur “Vampire” ou une pose pop faussement ingénue sur le spectorien « Come Down”. La chanson titre de l’album, mélopée folk intense au climax ample (avec Jesse Sykes aux choeurs, marquée également par les interventions de son guitariste Phil Wandscher) impose inversement un respect solennel. On y croise aussi du beau monde à cette cérémonie de luxure où se livre en offrande un son dantesque — le clavier Ted Bois (Destroyer), les guitares post-rock de Josh Stevenson (Jackie O Motherfucker) et Tolan McNeil (Caroline Mark), la vocaliste Ashley Webber (The Organ, Bonnie Prince Billy), le tout soutenu par la batterie en lévitation de Keith Parry (Superconductor, the Gay). Participation, non des moindres, la violoniste Sophie Trudeau (A Silver Mt. Zion, Godspeed You ! Black Emperor) nous enchante de ses arrangements sur deux titres, dont l’ultime morceau “Closer To Heaven”.

Sans rougir, sur ce troisième Pink Mountaintops, Stephen Mc Bean vient de planter son drapeau à la hauteur de celui de Black Mountain. Il est certain maintenant que cet alpiniste cosmique accompli continuera à grimper vers d’autres sommets, là où l’air se fait plus rare. L’asphyxie aura alors un avant-goût de paradis.

Ecouter « Outside Love » :

– Page Myspace

– Lire également la chronique d’Axis of Evil (2006)

– Lire également la chronique de [The Pink Mountaintops
->http://www.pinkushion.com/chroniques.php3?id_article=654] (2004)