Conçu en France il y a 35 ans, l’unique album des Beautiful Losers réapparaît aujourd’hui. C’est un manifeste unique en son genre, présentant une pop ardente et peu vêtue. Un trésor exalté et esthétique à découvrir absolument.


Découvrir aujourd’hui l’oeuvre unique de The Beautiful Losers, 35 ans après son enregistrement, constitue un choc sourd et mystérieux. Surgissant au beau milieu de notre confort moderne, ce disque venu d’ailleurs pousse l’auditeur à une attention particulière. Il faudra tout d’abord tendre l’oreille, puis se laisser finalement emporter par le souffle vitale d’une musique pouvant conduire à l’adoration. On entend une voix plus une guitare, parfois une basse ou des percussions, une seconde guitare voire une autre voix, le tout semblant diffusé d’une pièce en sous sol. Des sons qui sortiraient d’un regard à hauteur de trottoir. S’y échapperaient des yeux fatigués par l’obscurité et fixement tournés vers le soleil. Autour, un être sec et pâle, peut-être affamé, mais aussi exalté. Une lumière dans le regard, comme un envoûtement, une folie, une foi.

En fait Jay Alanski a enregistré Nobody Knows The Heaven en 4 jours sur un 4 pistes, dans une petite maison à la campagne, à 100 bornes de Paris. Il a été aidé par un pote de banc d’école, Christophe Jacq, bassiste inspiré – notamment sur “African Queen”, morceau à la ligne magnifique – donnant aussi de la gratte et de la voix. Un certain Philippe est venu jouer des percussions, ici et là.
Les chansons d’Alanski sont sophistiquées, mais posées sur bandes sans moyens. Une technologie rudimentaire rendant le psychédélisme intimiste, le glam acoustique, le romantisme minimaliste, forcément un peu amer, entre chien des rues et loup de lord. Anglais, forcément, classe et décadent. Syd Barrett, David Bowie, T.Rex, Roxy Music ; mais aussi Lou Reed et Bob Dylan, de l’autre côté de l’Atlantique. Une époque où la tentative d’évasion des hippies a pris fin dans l’acide, s’est volatilisée dans la psyché ; le punk dynamiteur ne va pas tarder. Entre les deux, un jeune gars français et son pote se font la belle, obsédés par ces figures fantasmées. Même nues cuisinées à la sauce lo-fi, des chansons comme “Spanich Woman”, “You Are Free”, “Rendez-Vous”, “All Is Gone” ou “All Is Going So Slow” n’ont pas d’équivalents dans la musique d’ici. Plus instrumentée, la seconde version de la magnifique chanson titre “Nobody Knows The Heaven” se révèle d’une douceur extatique, voisine des plus beaux rêveurs de la galaxie pop lettrée (Galaxie 500, pas loin, dans un autre temps). Une sensation de plénitude furtive, en arpèges s’effeuillants ; après un court silence et un râle de timbales, il y a cette dernière minute où basse et guitare valsent ensembles. En cette période de brouhaha difracté et uniformisé, ce morceau – et l’ensemble de l’album – offrent une sensation assez unique.

Le disque sera pressé à 400 ou 500 exemplaires, mis en vente dans 5 ou 6 boutiques parisiennes. Yves Adrien et Patrick Eudeline l’écouteront et l’aimeront, ils en parleront. Ca ne suffira pas, non. Beautiful Losers, oui.
Jay passera à autre chose quelques années plus tard, produisant les débuts des Innocents et de Jill Caplan, autres artistes singuliers et attachants du paysage pop français. Christophe J sortira un album en 1981 – Sons of Waterloo, également bien accueilli et aussi peu écouté – avant de faire carrière comme traducteur.
Il est dit que la musique française n’a pas de racines rock. The Beautiful Losers apparaît comme un cas unique où la qualité et l’intensité des morceaux – leur ambition fébrile – est en adéquation avec un esprit purement rock, dans ses déclinaisons étincelantes et blessées.

Jean-Emmanuel Deluxe, créateur du précieux label Martyrs of Pop basé à Rouen, a eu l’idée de la réédition de Nobody Knows The Heaven, réalisée en lien avec le label américain Lion Productions. Qu’ils en soient remerciés ! Au sein du riche livret (offrant notamment des entretiens passionnants qu’il a mené avec J.A. et C.J.) J.E.D. écrit que cet album est « l’enfant de Marc Bolan, de Beaudelaire et de Lautréamont ». Illuminés et magnifiques, The Beautiful Losers gravent ici un fantasme musical.

– Le site du label Martyrs Of Pop

the beautiful losers – nobody knows the heaven from the beautiful losers on Vimeo.