Dans la bio qui accompagne ce disque, big Ben nous annonce son oeuvre la plus aboutie, pour ne pas dire son chef-d’oeuvre. Qu’en est-il ?
Enfant de la balle, Ben Harper a été nourri et élevé aux mille et un sons de la musique du Folk music centre and museum, lutherie d’instruments folkloriques que tient sa famille en Californie. Devenu depuis guitariste et vocaliste hors pair, le bonhomme ne se contente plus d’explorer le reggae ou le gospel en dehors de ses terres promises folk et blues. Non, il nous sert avec ce double album ce qu’il présente lui-même comme son chef d’oeuvre, chose que l’on croyait tout simplement impossible – en tout cas improbable – après l’extraordinaire There will be a light sorti l’année dernière. Ou, en regardant dans le rétroviseur, The Will to live en 97. Force est de reconnaître les ambitions modestes du jeune sage, et ce malgré des ventes par camions entiers – surtout en France d’ailleurs.
Côté packaging, Ben Harper fait partie de ces artistes qui font dans la dentelle : un beau boîtier en carton dans lequel on trouve deux CD (de 30 minutes chacun), deux livrets avec les paroles, un CD bonus (20 minutes) qui vaut vraiment la peine, un livret de partitions et un autocollant arborant une cible. Tout est là pour contenter les sens visuels, littéraires et tactiles.
Non dénué d’un sens de l’humour catégorie pince sans rire, allié à un côté philosophe sympathique, attaché aux questions raciales (lui-même n’a-t-il pas du sang juif, lituanien et cherokee ?) mais aussi religieuses, Ben Harper, de par le titre de son album déjà (Both sides of the gun), le logo et les polices choisies, nous ressert pour ce sixième album les décors western spaghetti présents depuis qu’il s’est accoutré de ses Innocent Criminals en 1997. Histoire de ne pas trop embrouiller les petits indiens que nous sommes, notre cowboy a décidé de nous servir un menu en deux phases. On ne va pas s’en plaindre.
La guitare en bandoulière, notre messie l’emmanche et se la joue tantôt virtuoso à la Jimi Hendrix (« Please don’t talk about murder while i’m eating »), tantôt prêchi prêcha plaintif (en gros tous les titres acoustiques), tantôt rockeur au riff qui fait mouche (« Engraved invitation ») … En un mot comme en cent : la guitare n’a plus aucun secret pour lui, quelle qu’elle soit (et plus seulement son dada slide), et les autres instruments non plus d’ailleurs (batterie, basse, xylophone, piano, percussions). L’homme à la Weissenborn a également énormément appris des papys que sont les Blind Boys of Alabama avec qui il a sorti There will be a light : un peu de leur double sagesse (vieillesse et handicap) lui a donné envie de s’explorer.
« Better way » explore d’ailleurs les voies du nirvana hindou tout en suivant à la trace le Prince de Paisley Park (et particulièrement celui de « Around the world in a day »), non seulement dans le modus operandi instrumental, mais aussi dans le chant (hurlement exaspéré qui sonne comme un hommage à « Darling Nikiki » de Purple Rain. Comme si cela ne suffisait pas, des percussions à la brésilienne rappellent à notre bon souvenir Paul Simon et son The Rythm of the saints. De manière plus générale, on entend indubitablement un son Rolling Stones période Exile on Main Street (« Get it like you like it »). Que de références donc, et non des moindres. Mais Ben Harper nous a déjà habitués à ce qu’on le compare aux plus grands. Seul grand absent ici : Bob Marley.
Pourtant, cet album – double de surcroît – étonne par sa diversité, couvrant le rock in extenso, c’est-à-dire du folk au blues en passant par le rock, mais aussi la soul de A à Z, à savoir du funk au R&B vieille école en passant par la disco des seventies aux violons défiant la magnitude Isaac Hayes sur « Black Rain » ou le jazz sur « The way you found me ». Un répertoire que Tarantino affectionne particulièrement.
Même si on peut tiquer sur toutes ces paroles religieusement tournées, l’explicite Both sides of the gun se veut également l’instantané d’une Amérique qui va mal. Un pays qui laisse sur le bas côté un grand pan de sa population, qui plus est ethnique, comme l’a prouvé l’ouragan Katrina « Black rain » («You left them swimming for their lives in New Orleans, this government business is straight up sadistics») : voilà de quoi révolter notre missionnaire.
Le deuxième volume (ou premier, puisqu’il n’y a pas vraiment d’ordre) est tout en douceur et nous donne à voir sa facette plus intime. De belles nappes de violons, un piano, la guitare acoustique, une contrebasse et un violoncelle, la voix chaleureuse – et parfois limite pleurnicharde – de Ben Harper : il n’en faut pas plus pour y trouver son compte en termes de beauté incandescente (« Morning Yearning »). Avec des paroles telles que «With hopes of better days to come» ou «There’s more in life than what makes you cry», «Too many people say goodbye before they say hello», Harper séduit car il parle simple et vrai. Certains y verront probablement de la niaiserie et de la prêche casse bonbon. C’est ainsi. Ça tourne autour de l’amour et des difficultés qui y sont attachées (…). L’instrumental « Sweet morning serenade » et son illustre weissenborn (guitare hawaïenne) dégage une bouffée de relaxation bienfaisante. Enfin, « Reason to Mourn » et ses choeurs gospel explorent l’âme des USA.
Si on a envie de chipoter, on dira qu’il en a trop fait. En effet, à l’instar de Prince ou Lenny Kravitz il joue ici de beaucoup d’instruments en sus d’être producteur (bien que secondé par Danny Kalb derrière la table de mixage, et entouré des fidèles Jason Yates et Michael Ward). Si on est vraiment difficile, on avancera qu’il eut mieux valu faire un seul album reprenant le meilleur des deux actuels. En même temps, on peut rétorquer que deux albums de 30 minutes ce n’est pas la mer à boire, contrairement à d’autres. Qu’il n’y a vraiment rien à jeter non plus. Mais voilà, on n’a pas envie de rentrer dans ces jeux-là, car le plaisir de l’écoute se suffit à lui-même.
La conclusion ? On la laisse à Harper, sur « The way you found me » : «Take me as I am, or leave me the way you found me».
– Le site de Ben Harper