Plus vivant que jamais, Dinosaur Jr touche le ciel.


En 2012, ce n’est pas l’envie qui manque d’aller tricoter la métaphore mesquine avec Dinosaur Jr : jurassic rock, fossiles punk, musique à gros corps et petite tête. Ou encore d’aller chercher des poux dans la crinière de Jay Mascis, en l’accusant de faire du surplace depuis plus de vingt ans. Mais on se gardera bien de telles facilités, tant le groupe occupe une place à part dans notre petit panthéon indé. La place du fond, près du radiateur, où l’apathique J. a semble-t-il souvent végété. On se souviendra enfin qu’entre 1987 et 1993, en 4 albums essentiels – You’re Living All Over Me, Bug, Green Mind et Where You Been – la créature a constamment muté. Des bouillies nihilistes de ses premières années – frustrations gerbées sur le parquet – en punk-rock tête relevée sous perfusion heavy-metal. Et alors que quelque uns récoltaient pendant un temps les lauriers du bruit blanc – Pixies, Sonic Youth, Nirvana – Dinosaur Jr en récupérait les miettes. Séparées, suicidées ou reformées pour la monnaie, les gloires précitées sont aujourd’hui des fantômes. Tandis que le Dino paraît plus vivant que jamais, qui puis est dans sa composition originelle, celle qui pondit en 1985 son premier album bancal. Jay, Lou et Murph, power trio parfait ou triangle aux trois sommets égaux.

Outre ceux qui ont connu l’âge d’or, on ne voit pas bien à qui conseiller ce troisième album post reformation, après Beyond (2007) et Farm (2009). Pourtant, I Bet On Sky est le plus séduisant des trois, le plus long en bouche, le plus varié. Avis aux skateurs et slackers, aux ex teenagers cœur tendre et idées noires. Au cours de ses ères, l’œuvre dinosaurienne a su capter et restituer certains états d’âme d’une adolescence plus désoeuvrée que révoltée. Une jeunesse dépitée passant son énergie à rouler – des joints et sur planche – et tenter ainsi de s’élever au dessus du bitume asphyxiant des zones urbaines américaines. Très vite, Mascis se fantasma même en guitar-héros, à sa sauce, plus instinctive que technicienne. Peut-être échappa-t-il ainsi à la vague vite emportée du grunge, ce son usé à la naissance, fatigué, larvé, colère rampante et humeur plombée. Comme la came et le skate, le solo de guitare comme pour mieux s’évader. Au risque de rester collé au sol, tant la pesanteur roborative s’accorde mal avec la grâce désirée. Là encore, on avancera que Mascis fait constamment preuve d’agilité en triturant sa Fender Jazzmaster.

Mais surprise, “Don’t Pretend You Didn’t Know” qui ouvre ce nouvel album, se conclut par un solo de mellotron. Batterie en retrait, rythme sautillant, piano discret, ce morceau rappelle la face la plus lumineuse de The Cure … dont Dinosaur Jr reprit avec panache “Just Like Heaven”. Cette entrée en matière accueillante laisse la place à “Watch The Corners”, qui débute par une lourde intro hard-core, avant d’ouvrir sur du Dinosaur Jr classique (et parfait), soit un morceau en éboulement perpétuel, rythmé par la frappe de Murph, comme une pente dévalée sur les talons. Et arrive le solo final, jubilatoire. On imagine J. continuant à gratter, montant et descendant ses gammes, lumières éteintes à la nuit tombée alors que tout le monde a quitté le studio. A l’autre bout de l’album qu’il vient conclure, c’est l’épique “See It On Your Side”, avec Neil Young en figure tutélaire. Solo au début, au milieu, à la fin, solo partout ! Un peu avant, il y a “What Was That” et sa mélancolie crampon. On pense à Seam, ce grand groupe de Chicago trop peu connu qui accorda guitares rageuses et douceur d’écriture le temps de quelques albums vivement conseillés.

Sur I Bet On Sky, on trouvera aussi des morceaux un poil paresseux mais finissant par être attachants, des chansons chaussettes perdues au fond du panier, comprenant invariablement un solo sans grand enjeu. “Almost Fare”, se dandinant à la cool, ou “Stick A Toe In”, affalé sur le canapé. Egalement “I Know It Oh So Well” (tu l’as dit, Jay !), boogie à guitare wah-wah qui bégaye et voix de Jay à la traîne. Pas grave, on aime.
Mais aussi des poussées de speed, comme “Pierce The Morning Rain”, hachure punk-rock en pente avalée à toute berzingue et conclu au hachoir. Ou “Rode”, composée et interprétée par Lou Barlow, diablotin débraillé retrouvant l’inspiration efficace de Sebadoh. C’est aussi à Lou que l’on doit le magnifique “Recognition”, certainement l’un de ses meilleurs morceaux, toute époque confondue. Dynamique, rebondissant dans tous les coins, il offre aussi, après un break acoustique surprenant, le solo le plus court et le plus touchant de l’album, et une conclusion qui ne tient pas en place. On a ici l’impression que Dinosaur Jr n’a jamais été aussi vivace qu’en cet instant. Et c’est excellent.

Alors oui, on est certainement indulgent face à certaines ficelles – ou cordes – que l’on connaît par cœur. Mais là où certains groupes forcent aujourd’hui sur la sophistication à outrance, là où certains auditeurs joueront les snobs dédaigneux, on se contentera de sourire en coin, sachant quels plaisirs binaires ce Dinosaur là, aussi véloce que nonchalant, nous procure.