Entretien avec le bassiste moustachu de Malajube, Matthieu Cournoyer. Leur excellent deuxième album a été édité en France tout récemment et a déjà été l’objet de nombreux éloges de l’autre côté de l’Atlantique, de la part du New York Times par exemple qui l’a inclu dans son classement des meilleurs albums de 2006. Pour tout vous dire, c’était ma première interview, ponctuée par l’étrange apparition d’un homme pour le moins bizarre, mais foncièrement sympathique. Est-ce souvent ainsi ? Où cela se passe-t-il seulement à la Flèche d’or, sorte de boîte interlope indé réputée pour l’inénarrable fantaisie qui y règne ?


C’est un peu décevant que nous n’ayons pas pu transcrire par écrit le pittoresque et délicieux accent de ces Québecois, mais nous espérons tout de même avoir rendu justice à leur sympathie discrète et à leur humour pince-sans-rire. Le ciel était bleu, il faisait un peu froid dehors malgré tout.

Pinkushion : Vous avez joué hier en première partie d’Arcade Fire à l’Olympia ? Quel souvenir en avez-vous gardé ?

Matthieu Cournoyer : C’était assez impressionnant à vrai dire. On a souvent joué devant un public important, mais les fans d’Arcade Fire sont particulièrement excités et pas trop connus pour leur exigence critique. Ca nous a permis d’obtenir une bonne relation avec le public qui a pu découvrir notre musique. Avec un peu de chance, ça compensera le fait que notre disque n’ait toujours pas été distribué en France… C’est une manière comme une autre de débuter une relation. La scène, c’est même essentiel. Et puis nous parlons la même langue. La France est un public important pour nous.

Si je peux ajouter quelque chose, il n’y a pas de groupes français qui vous arrivent à la cheville actuellement. Mais bref, passons. Quelle relation entretenez-vous avec Arcade Fire, qui est originaire de la même ville que vous ?

Matthieu : On connaissait forcément avant qu’ils nous proposent cette première partie. Ils ont fait tellement de concerts à Montréal que c’était impossible de les éviter, au détour d’un de leurs concerts, ou d’un des nôtres. Mais hier, c’était vraiment très sympa. On s’est pris une cuite gigantesque après le concert avec eux. Ils nous ont offerts à boire, dans un bar – je ne me souviens plus du nom, ni d’ailleurs de la manière dont on est arrivés à rentrer. Enfin, c’était Arcade Fire, ils sont très riches maintenant, et très généreux. Donc, profondément sympathiques.

Vous entretenez aussi des liens avec un autre groupe montréalais the Dears ?

Matthieu : Oui, c’est leur bassiste Martin Pelland, qui nous a mis le pied à l’étrier si je puis dire.

Vous avez la particularité de chanter en français, pourquoi ce choix ?

Matthieu : Déjà, c’est notre langue maternelle. Donc par rapport à la musique que nous voulions faire, c’est-à-dire du rock, spontané et frais, le français s’imposait de lui-même. Ensuite, on a vu ça comme un challenge, un défi, si tu veux. C’est vrai que ça n’a pas beaucoup été fait. À vrai dire, les groupes qui chantent en français m’ont toujours paru atroces. On s’est demandé jusqu’où on pourrait aller et si le public nous suivrait. D’après les remarques que j’ai pu entendre ici, ça ajoute un peu d’originalité et de fraîcheur. C’est ce que nous voulions.

NDLR : Se matérialise alors un drôle d’individu. Il a les cheveux bouclés, il porte un T-shirt des Modern Lovers. Nous ne savons pas qui c’est mais il vient cependant s’asseoir à la table où a lieu l’entretien. Il ne nous dit pas son nom. Il est discret et silencieux. Finalement, il nous dit de l’appeler le « Radis ». Nous nous abaisserons à employer un sobriquet aussi ridicule. Après cette parenthèse plutôt insolite, nous saisissons la balle au bond) vous connaissez les Modern Lovers ?

Matthieu : Ah non, c’est bien ?

Le Radis : Évidemment, c’est formidable, sinon je ne porterais pas le t-shirt. C’est le groupe de Jonathan Richman, le chanteur le plus sympathique de tous les temps, une sorte de proto-punk anti-drogue, qui jouait dans les maisons de retraite. C’est scandaleux que vous ne connaissiez pas…

Du calme. Je t’en prie. C’est normal. Qui connaît Jonathan Richman de nos jours ?

Matthieu : Ah mais ça a l’air bien, d’après ce que tu m’en dis. J’écouterai ça. Je retiens.

C’est vrai que ça marche plutôt bien pour vous, Pitchfork a mis un 8,4 à votre album, les critiques sont excellentes, vous venez de terminer une tournée américaine. On parle souvent du pouvoir presque hégémonique de Pitchfork, y-a-t-il eu un avant et un après Pitchfork ?

Matthieu : Pitchfork, toujours Pitchfork… Il existe aussi le bouche à oreilles, d’autres sites internet plus au fait. Pitchfork a eu un rôle d’accélérateur, sans qui les choses auraient été un peu plus lentes. Ca a joué mais pas autant que les lecteurs ou les rédacteurs du magazine voudraient bien le croire.

Le Radis : Pitchfork, c’est de la merde. Qu’est-ce que ça veut dire ? Ils mettent 10 à ces connards d’Arctic Monkeys qui imaginent avoir tout inventé. Pourtant, c’est nul. Le rock a perdu tout son caractère de subversion. C’est de la mauvaise variété pour des connards d’adolescents poseurs, qui lisent Rock’n Folk et s’excitent dans des pogos ridicules pendant les Rock’n Roll Friday du Tryptique. (Vous êtes déjà allés au Tryptique vous, ou au Gibus avant, ils ont tous la même tête, c’en est effrayant) Et puis, ils imaginent qu’ils ont inventé Arcade Fire ? Arcade Fire, c’est quoi d’ailleurs ? Les nouveaux U2, pas grand chose de plus. Rien, le niveau zéro de la musique, comme pourrait dire Roland Barthes. Ils ne valent même pas l’obole d’un crachat. Ecoutez Comus plutôt !

Le groupe Malajube de Montréal


Revenons-en à l’album. Vers la fin, les chansons prennent une tonalité beaucoup plus mélancolique. Comment la structure de l’album est-elle faite ?

Matthieu : On ne voulait pas s’enfermer dans une formule. Ce serait ennuyeux si la pression ne se relâchait pas tout au long de l’album. On balance un peu tout au début, puis ça devient plus calme. Ce serait insupportable si l’on gardait le même rythme tout au long de l’album, même si on a toujours essayé de rompre un peu avec la linéarité traditionnelle d’une chanson pop pour que, justement, on ne s’ennuie jamais. On essaie de prendre notre pied en jouant de la musique en espérant que ça plaira à beaucoup de gens. On a de la chance, là. On en profite, peut-être que notre prochain album rebutera certains de nos fans, peut-être qu’il en amènera d’autres. On verra.

Est-ce que justement votre prochain album sera moins énergique et plus calme, à l’image de la dernière partie du disque ?

Matthieu : Pour l’instant, c’est le contraire. On a commencé à écrire quelques chansons et ce sera très violent. On a la perversion d’être fans de métal et c’est plutôt dans cette direction que nous allons. Mais on ne sait jamais ce qui peut arriver. Peut-être, les chansons vont-elles prendre un tour, comme tu le dis toi, beaucoup plus calme. Pas forcément plus mélancolique, car le métal aussi à sa façon suinte un mal de vivre et une mélancolie, mais différent. Donc on ne sait pas vraiment, mais c’est de ce côté-là qu’on cherche. L’esprit sera foncièrement le même, n’ayez pas d’inquiétudes.

Votre musique est malgré tout foncièrement joyeuse. Les paroles ont aussi pas mal de connotations sexuelles douces amères.

Matthieu : Oui, c’est vrai qu’il y a pas mal de métaphores sexuelles ou de connotations comme cela mais le sens des paroles est souvent beaucoup plus large que cela. Le sexe n’est pas forcément doux-amer, il y a plein de goûts différents… Je ne me compromets pas à écrire les paroles donc je ne suis pas le plus qualifié pour en parler mais je voulais juste dire que souvent les gens comprenaient des choses totalement différentes. Elles peuvent être interprétées de plein de manières différentes et cela ne se limite pas à la sexualité. C’est un peu plus vaste, donc. Ce qui caractérise avant tout les paroles, c’est l’humour. Ensuite personne ne peut trouver ça drôle. Mais je crois que la plupart du temps, notre accent et les nombreuses couches d’instruments empêchent de les comprendre tout à fait. C’est peut-être pour ça finalement, tiens j’y pense, que les gens comprennent tant de choses différentes. Car parfois les paroles sont à peine audibles. C’est important pour nous évidemment, mais nous rencontrons une forte audience auprès du public américain, donc, à la limite, ce n’est peut-être qu’accessoire. Mais j’imagine qu’en France notre musique est perçue bien différement, du fait que vous compreniez nos paroles.

Oui, revenons-en à ce qui nous intéresse. La scène canadienne est extrèmement riche à l’heure actuelle. Votre musique m’a beaucoup fait penser à Islands et aux Unicorns dont proviennent justement deux membres d’Islands.

Matthieu : On entend souvent dire ça, mais c’est un raccourci très facile. Ca a l’air très bien, c’est la même ville que nous mais je ne connais pas trop. Oui, c’est bizarre. On écoute plutôt des vieux trucs, ou personnellement, du métal, c’est très différent selon les gens. Je me suis aussi laisser dire que nous avions un morceau assez semblable dans nos deux albums, un peu rap un peu rock, comme dans “La Russe”. Je ne sais pas. Nous, c’est meilleur (en plaisantant, car il ne semble pas trop connaître, mais je n’arrive pas à retranscrire le ton, donc il convient de le préciser pour éviter tout malentendu). Euh, excuse-moi mais j’ai un peu mal à la tête là, rapport à la cuite d’hier. Il faut que j’aille chercher une bière.

Oui, je comprends parfaitement.

Le Radis : Ah la gueule de bois. Apparement, j’ai manqué le meilleur moment de l’interview. Moi j’ai un conseil, il faut boire beaucoup d’eau avant de s’endormir sinon c’est très désagréable le lendemain. Ce sifflement perpétuel, ce bateau qui ne cesse pas de tanguer…

Matthieu : : Tu ne trouves pas qu’il fait froid.

Oui, oui, on va arrêter. De toute façon, je n’ai presque plus de questions. Enfin, dernière question, question rituelle : peux-tu me donner tes cinq disques favoris de tous les temps ?

The Beatles – The Beatles

Trail of Dead – So Divided

Queens Of The Stone Age – Songs For The Deaf

Nirvana – From The Muddy Banks Of The Wishkah

Meatloaf – Bat Out Of Hell

Photos de Pascal Amoyel.