Taclant le « Boss » en pleine course, le « Sheff » aboutit à une suite renversante au non moins chaviré The Stage Names sorti voilà tout juste un an. Double ovation.


Depuis le palier décisif franchi avec Black Sheep Boy voilà trois ans, plus rien ne semble arrêter le texan Will Sheff. Et surtout pas sa frénésie créative. En état de grâce prolongé, le leader de la formation folk/rock alternative Okkervil River sort fréquemment des studios d’Austin les bras remplis de pépites ne trouvant place sur ses albums… Un dilemme de quantité plus que de taille. Will Sheff serait-il devenu une sorte de trublion du CD, ce support audio circulaire antédiluvien dont on a bien du mal à se détacher sentimentalement, mais devenu aussi contraignant et dérisoire à l’ère de la compression numérique illimitée [[Aux Etats-Unis 40% des ventes de musique passent désormais par le net]]?

Le mini-album The Appendix EP (2006) consécutif à Black Sheep Boy découlait de ce débordement d’écriture et grimpait avec autant d’aisance vers les mêmes cieux que sa matrice noire. Un an tout juste après The Stage Names, ce coup culotté est réitéré avec The Stand Ins, où le lettré songwriter persiste et signe onze nouvelles compositions issues des même sessions (dix chansons exactement en omettant l’instrumental introductif). Il ne s’agit aucunement de chutes de studio mais bel et bien d’une suite, indispensable, à The Stage Names — l’idée d’un double album fut finalement abandonnée faute de temps.

Enregistré dans le fief d’Austin et produit par l’indéboulonnable Brian Beattie, The Stand Ins laisse bien entendu échapper des essences familières, quasi jumelles à The Stage Names. Au travers d’une collection de ballades americana et d’une pincée de soul racée, Will Sheff poursuit sur la route son carnet de bord, dépeignant une galerie impressionnante de personnages du spectacle, croisés ou non : losers magnifiques, étoiles, artistes en quête de gloire ou de reconnaissance, héros ou victimes de l’amour suprême. En parolier d’envergure, la voix sur le fil d’Okkervil River ne peut concevoir une mélodie sans coller au plus près à la vérité du récit. L’image du grand départ se suffisant à un ticket froissé, et quelques bagages posés sur un quai (“Lost Coastlines”), ou les regrets d’un amoureux qui regarde son ex en couverture d’un magazine (“Calling and Not Calling My Ex”) deviennent sous sa plume des situations ordinaires détentrices d’un puissant pouvoir d’évocation, qui en disent plus long sur le mystère des sentiments que l’intégrale de Barbara Cartland. Et de par ce thème récurrent de l’évasion sur la route, condition existentielle de tout beatnick, il est difficile de ne pas assimiler le frontman d’Okkervil River à une incarnation rock réactualisée d’un Bruce Springsteen au charisme rugissant sur The River. Bien que son physique d’intello maigrelet ne suive pas…

S’appuyant sur l’instrumentation foisonnante issue des sessions de The Stage Names, The Stand Ins exploite une esthétique sonore lui faisant écho, limite volute, installant ainsi ses ballades roots dans une mélancolie aguerrie, ou seulement deux ou trois sursauts soul rock enjoués font contrepoids moral sur l’oeuvre d’ensemble (l’énergie rock décuplée de “Pop lie”, la country euphorique de “Singer Songwriter” et “Calling and Not Calling My Ex” avec ses cloches très Born To Run, décidément). Il va (presque) de soit que les escapades favorites du sextet d’Austin s’accompagnent d’un piano précieux entouré de cuivres et d’un mellotron sur des tempi lents à torturer le coeur : l’ascensionnel “Blue Tulip”, “On Tour With Zykos ??” “The Stand Ins, Two”… et puisqu’il est souvent question pour Will Sheff de départ dans ses chansons, il ne s’agira pas de rater celui fraternel de « Lost Coastlines », émouvant duo avec Jonathan Meiburg, le claviériste s’étant désormais dévoué corps et âme à Shearwater — dont le tout dernier, l’intouchable Rook est, il faut l’admettre, un chouia au-dessus. Shearwater et Okkervil River, formations siamoises investies et d’une intelligence rare, liées au-delà par une vision musicale capable de faire changer la donne. Leurs routes respectives s’annoncent longues et passionnantes.

– Le Myspace d’Okkervil River

– Lire également notre entretien avec Okkervil River (septembre 2007)
– Lire également la chronique The Stage Names (2007)
– Lire également la chronique deBlack Sheep Boy (2005)
– Lire également la chronique duAppendix EP (2006)